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24 janvier 2013 4 24 /01 /janvier /2013 10:22

I.pngl est important d'avoir bien en tête le petit paragraphe de Gaudium et Spes (n°17) dont j'ai parlé la dernière fois même si aujourd'hui nous allons davantage nous intéresser à la lettre encyclique écrite (le 6 août 1993)  par Jean Paul II, veritatis splendor ou si vous voulez "la Splendeur de la vérité".

Notons que cette encyclique a la particularité d'être adressée non à l'ensemble des fidèles mais aux évêques. Cela ne veut pas dire que nous ne pouvons pas la lire et l'étudier mais qu'elle traite de questions bien particulières sans entrer dans des précisions qui pourraient nous être nécessaires et qu'elle demande certaines connaissances. La deuxième partie est particulièrement plus ardue. Les numéros que vous pouvez lire à cette occasion ( vous pouvez toujours trouver cette encyclique en ligne sur le site du Vatican) sont les numéros 31 à 41. Les numéros 42 à 53 sont aussi à lire car ils portent sur le rapport liberté/loi; liberté/nature et sur la question de la loi naturelle. Ils sont donc fondamentaux mais ne nous intérese pas directement aujourd'hui.

 

Cette encyclique traite donc de questions morales et au numéro 31 le pape écrit qu'elles se rattachent plus ou moins et de manières différentes à la question de la liberté. Il montre donc en premier lieu que la pensée moderne, en vertu des développements évoqués lors de notre dernière note, a permis de mieux saisir le rapport entre dignité humaine et conscience et d'affirmer le droit à la liberté religieuse et au respect de la conscience qui sont des avancées capitales dans le domaine de la liberté. Cependant tout comme le Concile, il constate que ces conceptions ont eu des dérives, dérives dangereuses puisqu'elles débouchent sur une mise à mal de la vérité. Ce sont des dérives qui "ont besoin d'être corrigées ou purifiées à la lumière de la foi."

 

Je cite le n°32 dans sa totalité: " Dans certains courants de la pensée moderne, on en est arrivé à exalter la liberté au point d'en faire un absolu, qui serait la source des valeurs. C'est dans cette direction que vont les doctrines qui perdent le sens de la transcendance ou celles qui sont explicitement athées. On a attribué à la conscience individuelle des prérogatives d'instance suprême du jugement moral, qui détermine d'une manière catégorique et infaillible le bien et le mal. A l'affirmation du devoir de suivre sa conscience, on a indûment ajouté que le jugement moral est vrai par le fait même qu'il vient de la conscience. Mais, de cette façon, la nécessaire exigence de la vérité a disparu au profit d'un critère de sincérité, d'authenticité, d'« accord avec soi-même », au point que l'on en est arrivé à une conception radicalement subjectiviste du jugement moral.

Comme on peut le saisir d'emblée, la crise au sujet de la vérité n'est pas étrangère à cette évolution. Une fois perdue l'idée d'une vérité universelle quant au Bien connaissable par la raison humaine, la conception de la conscience est, elle aussi, inévitablement modifiée : la conscience n'est plus considérée dans sa réalité originelle, c'est-à-dire comme un acte de l'intelligence de la personne, qui a pour rôle d'appliquer la connaissance universelle du bien dans une situation déterminée et d'exprimer ainsi un jugement sur la juste conduite à choisir ici et maintenant ; on a tendance à attribuer à la conscience individuelle le privilège de déterminer les critères du bien et du mal, de manière autonome, et d'agir en conséquence. Cette vision ne fait qu'un avec une éthique individualiste, pour laquelle chacun se trouve confronté à sa vérité, différente de la vérité des autres. Poussé dans ses conséquences extrêmes, l'individualisme débouche sur la négation de l'idée même de nature humaine.

Ces différentes conceptions sont à l'origine des mouvements de pensée qui soutiennent l'antagonisme entre loi morale et conscience, entre nature et liberté."

 

L'analyse est très fine et nous plonge au coeur des débats moraux actuels. Beaucoup de chrétiens ( même prêtres) vont se trouver en confrontation avec les conseils du "magistère" car ils confondent en effet cette fameuse "obligation à" suivre sa conscience avec la vérité et l'objectivité du jugement moral. Dans une situation donnée, je suis invitée après avoir utilisé ma raison, écouter les conseils, à suivre ma conscience ( et je dois le faire). Cependant cela n'enlève rien au fait que l'acte en lui même s'il est mauvais reste mauvais. Ici, c'est bien l'idée d'une conception universelle et objective de la vérité et du bien qui est réaffirmée. Conception qui est en accord parfait avec notre foi. Seul Dieu est Bon, Vrai. Si nous avons des manières diverses ( parce qu'individuelles) de saisir Dieu, d'y parvenir cela n'enlève rien à ce qu'Il est en vérité. Cela signifie ( et le saint père y reviendra au n°35) que les valeurs ne sont pas édifiées par des libertés individuelles mais encore une fois qu'elles découlent d'un bien objectif saisissable par la raison ( et par la foi car "foi et raison" ne sont dans ce cadre pas en contradiction) et universel. L'homme, malgré son infinie dignité et grandeur du à sa liberté, n'est pas pour autant un démiurge créateur de ses propres valeurs et principes. C'est le noeud de l'épisode de la chute:  l'homme veut accéder à l'arbre défendu pour "être comme un dieu" c'est-à-dire devenir son propre principe (alors qu'il n'est que créature) et créateur de ses normes, du bien et du mal. Or, le texte de la Genèse nous révèle bien que l'interdit est extérieur à l'homme c'est-à-dire que  la liberté de l'homme n'est pas illimitée et que si l'"homme est laissé à son propre conseil" (Sir 15,14) c'est dans un certain cadre. Cadre qui  ne conduit pas forcément à un conflit entre nature/Liberté ou loi/liberté comme pourraient le laisser entendre la liberté d'indifférence ( et Ockham).

Il est certain que notre monde depuis le XVIIIeme a connu toute une série d'émancipations nécessaires mais pas toujours très structurantes. Il ya eu des émancipations sociales, politiques... des émancipations par rapport aux religions institutionnelles souvent associées à la superstition et aussi par rapport à la nature et à l'identité sexuelle. Ce ne sont que quelques exemples mais il est vrai que nous avons traversé une ère "des libertés" et depuis Rousseau, l'homme "nait libre" comme une valeur absolue.  Tous ces boulversements effectués au nom de la liberté ( collective ou individuelle) ont contribué à un changement d'ordre éthique phénoménal. Si nous ne prenons que le rapport au corps, c'est tout à fait stupéfiant... Depuis Descartes et Kant, la liberté a été d'abord comprise comme un affranchissement de la nature et le corps humain souvent réduit à l'image de la machine, de la mécanique. Quelque part ( ce qui n'est pas conforme à l'anthropologie morale chrétienne) il est devenu un "objet" différent de nous même, souvent une contrainte ( souffrance, limites, santé, vieillissement...) qu'il nous fait maîtriser et si possible transformer, modeler à notre guise. La liberté est devenu dans cette lignée autonome  à l'égard de notre corps comme l'écrivait un  théologien moraliste (Bruguès je crois...). Le corps est dans cette conception un obstacle à notre liberté individuelle... Paradoxe surprenant... La liberté est un absolue, source de valeurs morales et se définit donc comme un droit fondamental tout en mettant à mal le concept de nature humaine et en pronant l'indifférence vis à vis de la vérité. ( cf. n° 32 et 35 en particulier)   Nous revenons à la phrase clé du Concile: " Et ils ont raison. Souvent, cependant ils la chérisent d'une manière qui n'est pas droite, comme la licence de faire n'importe quoi, pourvu que cela plaise, même le mal"

Le saint père rappelle ainsi le lien étroit qui existe entre liberté et vérité. La vérité, la loi ne sont pas des obstacles à la liberté mais au contraire la liberté grandit et se développe dans la vérité: " la vérité vous rendra libre" (Jn 8,32)

 

Revenons à la fin du 1er§ du n°32: "Mais, de cette façon, la nécessaire exigence de la vérité a disparu au profit d'un critère de sincérité, d'authenticité, d'« accord avec soi-même », au point que l'on en est arrivé à une conception radicalement subjectiviste du jugement moral."  Ici Jean Paul II avec raison distingue "vérité", "sincérité", "authenticité", "accord avec soi-même". Une personne peut sincèrement se tromper en effet sans pour autant que l'erreur ne soit pas  présente. La sincérité est un critère subjectif alors que la vérité est d'ordre objectif. Notre intelligence peut sincèrement se tromper. Nous sommes de bonne foi mais l'erreur demeure quoique l'on fasse. C'est une erreur invincible dont nous ne serons pas ou moins responsable car sincère ( de bonne foi) et ayant mis tout en oeuvre pour lever le doute. La diminution ou la suppression de la responsabilté n'enlève rien au caractère mauvais de l'acte. Si vous voulez, il n'y a pas faute ou péché mais il y a tout de même acte mauvais. On le comprend bien dans le cas d'un enfant qui volerait à l'âge de trois ans. Je pense en effet qu'il ne sera pas puni de la même manière qu'un enfant de 12 ans qui volerait la même chose dans les mêmes circonstances.

Ce même critère de sincérité et d'authencité est encore plus délicat lorsqu'il se rapporte aux sentiments. L'argument "oui mais ils s'aiments..." est tout sauf un argument. Cela n'enlève rien à l'authenticité et à la sincérité du sentiment. Nous ne sommes pas là pour juger les émotions et sentiments des personnes mais cela ne peut justifier un acte. Dans plusieurs cas de procès où l'un des parents a tué son enfant à la naissance en découvrant qu'il était handicapé, l'argument de l" amour" a été avancé: " C'est par amour que j'ai commis ce geste car je ne voulais pas que mon enfant connaisse une vie de souffrances et de douleurs..." . Nous comprenons bien la douleur de ce parent face à la souffrance de son enfant désiré, attendu mais justifier l'infanticide par l'amour n'est pas recevable. Il en sera de même pour le suicide assisté ou l'euthanasie. La mort n'est jamais un bien.

Dans certains cas, nous avons même le devoir d'aller contre cet "argument de l'amour" lorsqu'il est déstructeur. Pensez au cas de pédophiles où l'adulte pense aimer sincèrement l'enfant, le jeune ou encore d'un jeune homme fou amoureux qui violerait la jeune fille n'arrivant pas à se faire aimer d'elle!? 

L'intention même bonne ne suffit pas à justifier un acte et encore moins à le rendre bon. Je vous rappelle que pour qu'un acte soit jugé bon il faut que l'intention, l'objet et les circonstances soient bons! Je parle encore une fois d'acte bon et d'acte mauvais et non de faute ou péché.

 

SaintPierre.png

 

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commentaires

P
Article hyper intéressant et bien écrit. Merci !!
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